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17 février 2006

Mélodrame #2 (#1 cf 20six)

Je descends du train, marche une bonne dizaine de minutes sous la pluie et les bourrasques, le long des champs. Arrive devant sa porte. Grande inspiration. Je prends mon courage à deux mains, appuie sur la sonnette. Attends quelques minutes, en déduis que peut-être elle n'est pas chez elle. Soulagement en secret, je vais pouvoir rentrer "chez moi". Mais non, la porte s'ouvre. Surprise. Bonjour,bise. J'entre et m'assieds dans un fauteuil en cuir impeccable du salon. Dos bien droit. Manches longues et pantalon. Cigarette et café.

Mère : Tu ne devrais pas être à l'université ?
Fille : Depuis quand tu te préoccupes de ma fréquentation de l'unif ? Non, j'ai congé le vendredi, je suis venue te rendre visite.
Petit silence. Chez nous, on aime beaucoup les petits silences bien lourds de sous-entendus.
Mère : Tu as besoin de quelque chose ?
Fille : Euh, non, je voulais simplement prendre un café et bavarder, puisque tu ne passes plus chez le père depuis un certain temps.
Mère : Nous ne sommes plus en très bons termes depuis quelques semaines.
Fille (petite garce) : Oui, j'ai remarqué. Mais ne t'en fais pas, il en profite bien. Ca défile à la maison, tu sais, blondes, brunes, afro, rousses, vieilles ou jeunes. L'autre jour il a ramené une fille de 21 ans. Deux ans de plus que moi, tu te rends compte ? Mère (mi gênée, mi amusée) : Tu trouves ça si choquant ?
Fille
: Quand ça concerne les autres, non. Chacun fait ce qu'il veut de son cul. Seulement quand je me lève le matin et découvre une fille qui pourrait avoir mon âge, en culotte et T-shirt dans la cuisine se préparant un café, le sourire radieux de celle qui s'est fait tirer toute la nuit, qui me dit bonjour et me demande si j'ai bien dormi, je suis parfois interloquée. Surtout lorsque la fille s'excuse de ne pas pouvoir poursuivre la conversation car elle doit prendre une douche et filer à ses cours d'économie. Si c'était pour Lionel, je sauterais de joie. Mais dans ces cas-là, il s'agit de mon père. Ca fait quand même une sacrée différence.
Mère (sans transition, ce qui est aussi caractéristique de sa personnalité) : Il faut que je te présente Daniel.
Fille (quelque peu surprise) : C'est ton nouveau poisson rouge ?
Mère : Ne fais pas l'idiote, s'il te plaît. On est ensemble depuis trois semaines, il est avocat, divorcé, a deux enfants de ton âge à peu près.
Fille (commence à faire basculer la situation) : Ah mais c'est fantastique ça, tu as tout prévu, je vais enfin pouvoir me faire des amis équilibrés, fils de riches, avec qui partir en vacances à la Côte d'Azur et siroter des cocktails dans des soirées mondaines. C'est vrai que j'ai assez donné pour le sordide, mais c'était lié à la Gare du Nord tout ça, tu l'as toujours dit, un quartier de dégénérés. Seulement depuis maintenant plus d'un an et demi qu'on a déménagé dans ce quartier bourgeois et propre sur lui, rien n'a changé. J'ai toujours des amis qui meurent ou qui essaient, qui s'écorchent, au propre comme au figuré.
Mère (légèrement paniquée) : Calme-toi, s'il te plaît. Tu verras, Daniel est formidable et...
Fille (tout bascule dans ma tête, sirènes hurlantes) : Tu as entendu ce que je t'ai dit, tu dois tirer les conclusions facilement, non ? Si le transfert de milieu n'a rien changé à mes fréquentations, c'est que c'est moi qui suis dégénérée, hein ? C'est ça que tu penses, que tu as toujours pensé, et que tu penseras toute ta vie. Surtout ne rien dire aux voisins, aux amis, qu'est-ce qu'ils diraient ? Je me souviens bien, surtout ne montre ni tes bras ni tes jambes, que vont en penser les gens ? [...]
Je m'arrête, épuisée, tremblante. Ma mère me regarde, sans mot dire. Elle semble paniquée, et en même temps prend une distance considérable, méprisante.
Fille
(hurle, complètement submergée) : Tu penses que ça m'a fait du bien de déménager, de quitter ce quartier plein des coups que j'y ai pris, des garçons que j'y ai fait hurler, du foetus que j'y ai perdu, des amis que j'y ai enterrés, des bars que j'y ai écumés, des cicatrices que je m'y suis infligées. Tu penses que tout s'est calmé pour moi depuis mes passages à la clinique. Seulement à l'intérieur ça continue de bouillonner, c'est pas parce que les événements sont plus calmes, que la vie tout autour semble s'écouler plus ou moins tranquillement, que dedans ça va bien.
Mère (esprit pratique) : Je vais appeler Nath pour qu'elle passe te chercher ici et...
Fille (n'écoute plus) : Tu ne sais pas, ce que ça fait dedans, sentir tout qui est chamboulé, rien n'est à sa place, moi non plus. Je ne sais toujours pas ce que je vais faire de ma vie, me regarder dans un miroir me pose toujours autant de difficultés, je croyais m'être débarrassée toute seule et pour de bon des troubles alimentaires, mais ils reviennent de plus belle depuis mon retour de Paris, Thomas ne progresse pas, et à vrai dire moi non plus. [...]

Je sens que je vais tomber. Entre temps je m'étais approchée de ma mère, relevant les manches de mon pull bien haut, lui appliquant ma chair marquée sous les yeux, remontant mon pantalon pour faire pareil avec mes mollets. Je vascillais de rage, les yeux brouillés et le cerveau éclaté. Je me suis effondrée.

Je m'en veux toujours après ce genre de scène, qui je suis pour ouvrir ma gueule comme ça, m'offrir en spectacle. C'est d'une bassesse incroyable, minable. Juste envie de boire, noyer cette médiocrité, la remplir par l'alcool. Je n'aurai jamais aussi bien porté mon pseudo.

Bande-son : l'album "L'enfer tiède" de Programme

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Commentaires
A
Guérie au sens médicale oui, mais pas vraiment au sens moral. On f'ra aller ;)
F
Hum : manique = panique...
F
> Anna : il n'est jamais trop tôt, ni trop tard, pour une vodka. D'ailleurs je sens que l'heure est venue pour moi. Santé! (à ce propos, j'espère que tu es guérie!)<br /> <br /> > Drink : disons que, sans jouer les martyrs, j'en ai pas mal bavé à une époque. Je garde généralement ça pour moi, préférant la douceur et la mélancolie à une exposition brute des faits. Mais à force, les faits m'étouffent et j'explose. Dans la réalité ça donne un énervement et une manique progressifs jusqu'à la crise et la chute finale, et avec des mots, ça donne cette note, par exemple.
D
C'est con ce que je vais dire mais j'aurais jamais crû que tu publierais une note comme ça. Un truc violent, un peu comme du verre brisée sur un mur de métal, je crois que ça se nomme rock'n'roll.
A
Que dire après ça ? Ouah c'est fort. Vais aller me prendre une vodka. Pas l'heure ? Pas grave. En ce moment je digère mal le lait, la vodka passera bien avec quelques cacahouètes.
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